Le départ

8 septembre 1961

 

La plupart d'entre nous sommes tristes : nous quittons le camp de regroupement d’ALI CHERF après plus de sept mois de présence, sans savoir ce qui nous attend pour la suite, et alors que je suis à quatre ou cinq mois de la quille. Nos conditions de vie étaient bien meilleures que celles des habitants, mais les uns et les autres nous étions tous enfermés dans ce camp.

 

Chaque jour nous nous sommes croisés, nous avons fait un bout de chemin ensemble à la corvée de bois ou à attendre à la source pour remplir nos récipients. Nous étions présents à vos sorties et entrées au poste de fouille sans voyeurisme, avec bienveillance, tout au moins en ce qui me concerne. Nous avons partagé souvent notre nourriture, pourtant bien chiche, avec de vos enfants, blagué avec eux, notamment avec Mohammed, qui nous aidait dans notre tente. Nous nous sommes promenés dans les ruelles vous saluant maladroitement. Nous avons participé à votre fête de la circoncision...

 

Lorsque les G.M.C. ont quitté ALI CHERF, j'avais les larmes aux yeux et bon nombre d'entre vous pleuraient.

Photo JMM 1961-60-La population à notre départ d'Ali Cherf

 

Tristesse, moi de quitter ce lieu, et vous, peut-être pour les mêmes raisons et aussi peut-être à cause de la peur du lendemain. Aujourd'hui encore, après plus d'un demi-siècle, j'ai l'impression d'avoir laissé une part de moi-même à ALI CHERF.

 

Voilà, j'en ai quasiment terminé de relire les courriers adressés à mes parents et d'en rapporter des extraits. Tout ce qui écrit en italique ne figure pas dans ces courriers à mes parents. Pour ainsi dire aucune indication sur ce que j'ai vécu sur le terrain : crapahutages, patrouilles, choufs, accrochages, embuscades... Ils avaient, me semble- t-il, assez de soucis avec ce que je vivais dans le camp et ce que les informations leur apprenaient.