Quelques hommes du camp d'Aïn Zida

Histoire de Mokhbi

Une autre fois, ce camarade qui s'était permis une observation sur la fouille me montre, après le couvre-feu, un homme qui circulait entre les maisons d'Aïn Zida, au pied du Sidi Achour, à quatre ou cinq cents mètres du poste. Il était six heures du soir, au plus, il faisait encore bien jour et je l'ai reconnu de loin. C'était Mokhbi, un homme du regroupement, un grand et bel homme qui était docker au port de Collo. Il portait la moustache courte et relevée en broussaille aux extrémités, à l'algérienne, comme je le vois encore sur la photo que j'ai conservée de lui. Ce n'était pas normal, évidemment, qu'il soit dehors, mais il allait à découvert, sans chercher à se cacher, ayant probablement oublié l'heure. Que faire ? Aller le chercher ? Attendre son retour? « Tu vas voir » me dit ce camarade en épaulant sa carabine US 17. « Ne tire pas sur lui ! » ai-je crié. Un ou deux coups de feu ont claqué. L'avait-il visé, vraiment ? Toujours est-il que l'homme s'est mis à courir pour échapper et disparaître dans la mechta. Qu'aurais-je écrit dans mon Bulletin de renseignement quotidien s'il avait été tué ? Le journal de marche de la CCS du régiment porte mention d'un homme tué de cette façon, à Bessombourg, le 21 août 1960 : « fuyard en dehors du centre de resserrement vers 18 heures 15 ». Jusqu'à quel point pouvais-je me dérober à la guerre ? Car, malgré mes suppositions, je ne pouvais pas m'empêcher de me demander pourquoi Mokhbi avait pris le risque de ne pas respecter le couvre-feu, et cette question continuait de m'habiter quand, à mon retour à Collo, j'ai montré sa photo : je me demandais si on allait m'apprendre quelque chose sur ses liens éventuels avec le maquis. Mais on s'est contenté de le regarder avec admiration, parce que, vraiment, il a de l'allure. On n'a rien dit de plus. A-t-il dormi dehors ? Est-il rentré à la nuit tombée ?

Pour un pays d'orangers, Algérie 1959-2012, p. 188